Introduction
Bienvenue sur "Blessures de Guerre".
Ce site est dédié à la mémoire et à l'histoire d'une famille française pendant la 1ère Guerre Mondiale: la famille Baudiment d'Alger.
Cette famille n'était autre que celle de ma grand-mère paternelle, de ses deux soeurs, et de ses trois frères:
Henri, Capitaine au 90ème Régiment d'Infanterie de Châteauroux (Indre), fut fauché par un obus de 88mm autrichien, le 22 Avril 1916, au Ravin de la Hayette, entre la Cote 304 et le Mort-Homme, à Verdun, après avoir couru les champs de bataille de La Marne, d'Ypres, et de l'Artois, à la tête de sa Compagnie;
Jean-Baptiste, Sous-lieutenant au 1er Régiment de Zouaves, puis au 8ème Régiment de Marche des Zouaves, mourut le 28 janvier 1922, certes de la Grippe Espagnole, ...mais surtout des séquelles des graves blessures qu'il avait endurées sur le front de Champagne, en Septembre 1914, après avoir miraculeusement survécu, quelques jours auparavant, aux combats des Marais de St Gond, à la Bataille de la Marne;
Aimé, jeune Sergent au 8ème Régiment de Marche des Zouaves, mourut lors de sa première montée à l'assaut, alors qu'il n'avait pas encore dix-huit ans, le 11 mai 1915, à Neuville St Vaast, en Artois.
Jean-Baptiste est enterré à Alger. La tombe de Henri n'a été retrouvée qu'en mai 1998, dans un petit village d'Argonne. Celle d'Aimé ne le sera jamais...
Il existe une traduction en langue anglaise de ce blog: "World War Wounds" [voir le lien hypertexte, dans le coin supérieur droit de la page d'accueil]. Elle a été réalisée à l'intention des lecteurs anglo-saxons (et notamment allemands), dans le but de partager avec eux ce témoignage malheureusement banal de l'histoire tragique et poignante de nos grands-pères et de nos grands-oncles. Après tout, ne s'agit-il pas désormais, de notre histoire commune?
Merci par avance, à tous ceux qui voudront bien me faire part de leurs critiques et de leurs observations.
Louis CAZAUBON, le 11 Novembre 2008
Notice légale
Chers amis visiteurs et lecteurs de ce blog,
en réalisant la mise en page et la mise en image de chacun des messages postés, j'ai pris le parti délibéré de ne pas filigraner les différents documents photographiques (et notamment les photos prises par Henri Baudiment), afin d'en assurer la meilleure lisibilité.
Pour autant, aucun de ces documents n'est libre de droit de reproduction.
Cependant, si l'un d'entre vous souhaite se procurer l'un d'eux, en pleine définition, à des fins éditoriales (blog, article, ...), c'est naturellement tout-à-fait possible: je l'invite à me contacter directement, par l'intermédiaire de la rubrique "Contacter l'auteur" de la page d'accueil.
Rassurez-vous: mes conditions ne sont aucunement financières. Elles portent, en revanche, sur la nécessité de libeller avec précision l'origine du document, et l'identité de son auteur, afin de respecter sa mémoire.
Je suis certain que vous me comprendrez.
LC
Ville sur Cousances, le 22 Mai 1998
"Papa? Je t'appelle de Verdun.
Je viens de retrouver la tombe de Henri Baudiment".
Dans l'écouteur, la voix de Papa se brise d'émotion...
Photo: Pierre Cazaubon - Mai 1999
Quatre-vingt deux ans après sa mort, Henri, le frère aîné de ma grand-mère paternelle, nous est ainsi réapparu.
Et avec lui, son histoire, et celle de ses frères.
Chacune d'elles nous avait été transmise en héritage, comme une blessure profonde et douloureuse...
Portrait de Henri Baudiment - Fusain d'après photo - 1920
La famille Baudiment avant la Guerre
Henri était l'aîné de six enfants, tous nés en Algérie, de la rencontre à Constantine, de Boniface, gendarme, berrichon de naissance, et de Marie-Anne Robert, auvergnate, de dix ans sa cadette.
Photo de famille à Kouba, vers 1895 - En partant de la gauche, assis au 1er rang: Jean-Baptiste (1er), Euphrasie (3ème), Charlotte, ma grand-mère (6ème); assise au 2ème rang: Marie-Anne (3ème; sur ses genoux: Augustine); debout: Boniface (3ème).
Elevés au sein d'une cellule familiale très unie, Henri et ses deux frères reçurent l'éducation stricte des Enfants de Troupe.
Photo de famille à Alger, vers 1902 - En partant de la gauche: au 1er rang: Augustine, Marie-Anne, Aimé, Boniface, Charlotte; au second rang: Euphrasie, Henri, jean-Baptiste.
La déclaration de guerre
Quand la guerre éclata, ...
... Henri était Adjudant au 90ème Régiment d'Infanterie de Châteauroux (Indre).
Le lendemain-même de ses dix-huit ans, le 28 Juillet 1899, il s'était engagé volontaire, comme simple Soldat de 2ème Classe, dans ce régiment d'active cantonné à deux pas du berceau familial paternel.
Il avait épousé, le 5 Septembre 1908, la fille d'un bijoutier parisien décédé, de deux ans son aînée, Angèle Trochard.
... Jean-Baptiste appartenait, quant à lui, au 1er Bataillon du 1er Régiment de Zouaves d'Alger, détaché au Régiment de Marche de Zouaves de la Brigade Mixte au Maroc, et cantonné à Chaouïa.
Engagé volontaire au 90ème R.I., le 17 Novembre 1902, lui aussi à dix-huit ans, il avait ensuite préféré renouveler son engagement, cinq ans plus tard, dans les "Troupes de Souveraineté", au 1er Zouaves.
Il avait ainsi connu son baptême du feu, au printemps 1908, sur les confins Sud de l'Algérie avec le Maroc, puis pris part aux combats de Janvier 1913 au Maroc. Ses mérites avaient été récompensés par l'attribution rare de l'Ouissam Alaouite, et par sa promotion au grade d'Adjudant, le 3 Mai 1913.
Le 1er Bataillon du 1er Zouaves fut intégré, dès Août 1914, au 8ème Régiment de Marche de Zouaves, nouvellement constitué, et Jean-Baptiste fut nommé Sous-Lieutenant à titre temporaire dès le 4 Septembre 1914.
... Aimé, quant à lui, poursuivait dans l'insouciance de ses seize ans, la découverte de la vie, sagement et tendrement encadré par ses trois soeurs.
Photo de famille à la plage, été 1913 - De la gauche vers la droite: Charlotte, Euphrasie et son fils Marc, Aimé, Augustine.
Photo de famille à la plage, été 1913 - De la gauche vers la droite: Aimé, Euphrasie et son fils Marc, Augustine, Charlotte.
Août-Septembre 1914: les premiers combats
Après avoir, dès Août 1914, attaqué au Nord, puis participé à la retraite de Belgique, Henri et Jean-Baptiste combattirent à la Bataille de la Marne (Henri au Mont-Août , et Jean-Baptiste aux Marais de Saint-Gond) avant de poursuivre l'ennemi, jusqu'à la stabilisation du front en Champagne, le 17 Septembre.
Photo: Henri Baudiment - Non datée.
18 Septembre 1914: la blessure de Jean-Baptiste, sur le front de Champagne
Jean-Baptiste fut grièvement blessé à l'oeil et au thorax, par des balles de shrapnell allemand, le 18 Septembre 1914, à Prunay sur Vesle (Marne).
Sa blessure lui valut la Légion d'Honneur et la Croix de Guerre avec palme, avec la citation suivante (à l'ordre de l'Armée):
"Adjudant promu Sous-Lieutenant pour sa bravoure dans tous les combats auxquels il a pris part depuis le début de la campagne. A été blessé le 18 Septembre 1914, et a perdu l'oeil gauche".
Le 2 Novembre 1914, il donnait ainsi de ses nouvelles à ses parents: "Reconnaissez-vous l'éclopé, la tête entourée de langes?".
Photo de groupe à l'Hopital Temporaire 24 de Montpellier, le 2 Novembre 1914: Jean-Baptiste est debout, au milieu.
De Novembre 1914 à Avril 1915: les combats de Henri autour d'Ypres, en Belgique
Au même moment, Henri découvrait l'enfer d'Ypres:
"...Le 11 [Novembre], le bombardement redouble de violence, et l'Infanterie allemande se lance de nouveau à l'assaut. Les forces ennemies sont trois ou quatre fois supérieures. Depuis 18 jours, le 90 tient les lignes; le 3ème Bataillon devant Passchendale, les 1er et 2ème Bataillons devant Zillebecke, sans relève.
Les hommes sont exténués. Les cadres n'existent plus.
Tous les jours, on a subi des attaques, et l'on a progressé. Mais les hommes sentent que, comme à La Marne, ils doivent tenir ou se faire tuer. Partout, l'assaut est brisé, et le soir-même, les Allemands, qui ont subi des pertes considérables, commencent à se retrancher.
Le 12, la Bataille de l'Yser est terminée. Les Allemands n'attaquent plus...".
[Historique du 90ème R.I.].
Le 6 Novembre, Henri, alors Adjudant-Chef, fut promu Sous-Lieutenant à titre temporaire, et prit le commandement de la 3ème Compagnie, en remplacement du Capitaine Gratteau, mort au combat, le 31 octobre.
Cité à l'ordre du régiment, il reçut la Croix de Guerre:
"Excellent Cdt de Compagnie, d'un courage et d'un sang-froid à toute épreuve. S'est particulièrement distingué du 6 au 12 Novembre dans les combats autour d'Ypres, où il a montré une ténacité remarquable, maintenant sa position sous un feu d'infanterie et d'artillerie des plus violents".
Plus tard, les Britanniques le décorèrent, à ce titre, de leur Military Cross, décoration très rarement attribuée par eux, à des étrangers (selon Abbot & Taplin [British Gallantry Awards, 1981], il n'y eut pas plus de 1423 attributions de la Military Cross à des Français, au cours de la Guerre de 14-18).
Fin Janvier 1915, Henri résumait ainsi les combats de l'Yser pour Jean-Baptiste en convalescence à Alger:
Croquis manuscrit de Henri BAUDIMENT: Les combats de sa compagnie (la 3ème) autour d'Ypres, début Novembre 1914.
En dépit de l'âpreté des combats, et des rigueurs de l'hiver belge, il parvenait également à prendre, dès ce mois de Janvier 1915, un peu de recul sur ses nouvelles responsabilités particulièrement exposées de commandant de compagnie:
"Je n'ai plus le cafard, et depuis que je suis au repos, mes idées se sont reposées, et je reprends le goût de correspondre longuement.
Les effets du tir d'artillerie influent énormément sur le système nerveux, et on arrive à être une bête humaine qui fonctionne dans un ordre d'idées tout autre que celui du vrai naturel".
En quelques phrases lapidaires, Henri décrivait ainsi l'inexorable destruction de la petite ville d'Ypres, et le long calvaire de ses habitants:
"...Ypres est une jolie petite ville de 18.000 habitants. Chaque fois que nous venons au repos, à Vlamerthinge, nous passons sur le côté de cette ville, et nous traversons le quartier bombardé. Comme nous passons la nuit, les incendies illuminent le ciel, et les obus éclatent souvent au-dessus de nos têtes. D'ici quelques jours, il ne restera plus rien de cette coquette petite ville. Les halles, le clocher, et de beaux monuments sont réduits en cendres. Les vandales marquent leur vengeance par le bombardement et l'incendie. Je ne puis avoir de cartes postales, mais dès que les tirages seront terminés, vous aurez quelques vues des restes de la charmante cité[...].
[...] Dans les petites communes de St Jan et Vlamerthinge, la population est revenue petit à petit[...]
[...]L'Armée Belge se réforme, elle compte 15.000 hommes, elle va opérer avec les Anglais... Albert 1er est passé à Vlamerthinge le 11. Je n'ai pu le voir, il allait visiter Ypres pour voir les dégâts[...]."
[Lettre de Janvier 1915]
"... Court séjour et marmitage en plein [centre] d'Ypres par les Boches. Pauvre cité, cette petite ville si jolie, monuments anciens, la voilà presque réduite en miettes[...].
[Lettre du 7 Avril 1915]
Avril 1915: Aimé sur le front de Champagne
Dès le 9 septembre 1914, Aimé, qui avait à peine 17 ans, s'était engagé volontaire à la mairie de St-Hippolyte du Fort (Gard), où comme ses deux frères avant lui, il suivait la formation de l'Ecole Militaire Préparatoire des Enfants de Troupe. Rapidement affecté au 1er Régiment de Zouaves, il fut nommé caporal le 21 novembre, puis sergent le 27 février 1915. C'est avec ce grade qu'il rejoignit le front en avril 1915, avec le 1er Bataillon du 8ème Régiment de Marche des Zouaves, le même bataillon que celui de son frère, et pratiquement sur les lieux-mêmes où Jean-Baptiste avait été blessé, sept mois auparavant.
Photo annotée de Henri Baudiment: "Sillery (Marne) Avril 1915 - Réserve de la 1ère ligne à 600 mètres à l'Est de Prunay sur Vesle" (Aimé est le 3ème à partir de la gauche).
Henri, qui avait derrière lui quinze ans de carrière, et qui entamait son neuvième mois de guerre, fut tout de suite très inquiet au sujet d'Aimé.
Le 7 Avril 1915, il écrivit à ses parents et à ses soeurs:
"...J'ai appris qu'Aimé était sur le front. Faites-lui de nombreuses recommandations, et d'être très prudent. La tête doit travailler souvent plus que le reste...".
11 Mai 1915: la mort d'Aimé en Artois
Le 8ème Régiment de Marche des Zouaves prit part aux combats dès le 11 Mai 1915, à Neuville Saint Vaast (Pas de Calais), au Sud de la Crête de Vimy:
"...Un feu violent d'infanteries et de mitrailleuses parti des tranchées ennemies situées à environ 1000 mètres en avant du front, ou de tranchées ou maisons de la lisière N.O. du village de Neuville Saint-Vaast cause des pertes très graves [...].
L'intensité du feu ennemi est telle, et les pertes si nombreuses qu'il paraît inutile de continuer le mouvement en avant [...].
De 14h30 à 20h00, les fractions qui se sont portées en avant, restent sur leurs positions sous un feu d'efficacité de l'Artillerie allemande qui se joint au feu de l'Infanterie et des mitrailleuses. Tout homme qui se relève pour se porter en avant, est aussitôt abattu. Les uns se terrent avec leurs outils portatifs, les autres se jettent dans les trous d'obus aussitôt qu'il s'en produit auprès d'eux.
A la nuit, les survivants reviennent dans la tranchée et y ramènent de nombreux blessés qui seront évacués vers l'arrière [...]."
[Journal des Marches et des Opérations du 8ème Régiment de Marche des Zouaves]
Photo officielle d'Aimé Baudiment, jeune sergent au 8ème Régiment de Marche des Zouave, début 1915.
Aimé ne survécut pas à ce premier jour de combat.
D'après le témoignage d'un de ses compagnons, il fut frappé d'une balle en pleine tête.
La violence des tirs d'artillerie qui labouraient la terre du champ de bataille ne permit pas de retrouver son corps.
Mai-Juin 1915: à la recherche de la tombe d'Aimé
Accouru dès que possible du front de Loos-en-Gohelle où il avait participé à l'attaque du 9 Mai, Henri tenta de retrouver la trace de son benjamin, sans succès:
"[...] J'ai parcouru tous les cimetières improvisés, cimetières de villages, etc, etc... je n'ai pu découvrir la tombe de notre pauvre regretté. Quelle aurait été ma joie de la trouver, saluer une dernière fois sa tombe, et y placer un bouquet avec couronne [...].
[...] C'est un malheur pour la famille, il faut vous consoler et reprendre le dessus. Il faut songer aux êtres jeunes qui naissent, à ceux qui ont l'âge de raison. Et si, par malheur, la France avait été envahie, que serions-nous devenus? Vos trois fils, sortis d'une famille militaire avaient le rôle de défendre cette Patrie; nous payons chèrement notre rôle, espérons que ce sera fini [...]."
[Lettre de Juin 1915]
Carte IGN 1/25.000e - ARRAS Nord
Aimé repose aujourd'hui quelque part, dans cette étendue de terre d'Artois que l'on nomme "au Champ des Malades", au Nord de Neuville Saint Vaast.
Fiche individuelle d'Aimé Baudiment (Source: Site "Mémoire des Hommes" du Ministère de la Défense).
"Au Champ des Malades": le champ de bataille du 8ème RMZ, le 11 Mai 1915 - Au fond, à droite: la Colline de Notre-Dame de Lorette, et son phare - Photographie: Vincent Le Calvez (avec mes remerciements), Oct. 2007.
Le nom d'Aimé Baudiment, tel qu'il est inscrit sur l'Anneau de la Mémoire de Notre-Dame de Lorette - Photographie: Robert Lestrade (avec mes remerciements), Nov. 2014.